Monsieur Ban Ki-moon 25 Mai 2014
Secrétaire Général de l'ONU
1st avenue and 46th street
New York, NY 10017
Etats Unis
Fax: 1 (212) 963 4879
Objet : Demande d'enquête internationale sur l'attentat du 6 avril 1994 contre les présidents HABYARIMANA Juvénal et NTARYAMIRA Cyprien.
Monsieur le Secrétaire Général,
Dans une déclaration fort remarquée publiée par International Crisis Group, madame Carla Del Ponte, ex procureur près le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, avait déclaré que s'il « était établi que c'est le FPR qui a descendu l'avion du président Habyarimana, l'histoire du génocide serait réécrite »[1].
En effet, Monsieur le Secrétaire général, il vous souviendra, que dans leurs rapports Doc E/CN.4/1995 du 28 juin 1994, Doc S/1994/1405 du 9 décembre 1994, le rapporteur spécial et les experts avaient unanimement reconnu que l'élément déclencheur du génocide avait été l'assassinat du président Habyarimana, dont l'avion a été abattu lors de son atterrissage à Kanombe le 6 avril 1994. Le rapporteur spécial et les experts avaient vivement recommandé une enquête sur cet attentat, afin de mieux cerner les responsabilités dans ce drame que Paul Quilès, ancien président de l'assemblée nationale française et de la Commission Rwanda de cette assemblée, qualifie de l'une « des grandes tragédies du 20ème siècle »[2].
Au moment où le monde commémore le 20ème anniversaire de ce génocide, l'ONU n'a entrepris aucune enquête sérieuse, pour élucider les circonstances de cet acte terroriste, qui rappelons-le, avait non seulement coûté la vie à deux chefs d'Etats en exercice, mais aussi déclenché le génocide. Or, il incombe bel et bien à l'ONU, dont les casques bleus assuraient la sécurité dans la zone de l'attentat de mener cette enquête.
Monsieur le Secrétaire Général,
Depuis 1994, il y eut de nombreuses occasions manquées, pour faire la lumière sur cet attentat.
1. L'incapacité ou démission du TPIR
La résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité créant le TPIR avait donné l'espoir que ce tribunal, à l'instar de celui du Liban, allait s'occuper aussi de cet attentat. En effet, en 1997, un enquêteur du TPIR, feu Michael Hourigan, avait remis à l'ancienne procureur du TPIR, madame Louise Arbour, un rapport d'enquête impliquant des officiels du FPR dans cet attentat. Non seulement le TPIR a tué dans l'œuf ce rapport, mais aussi il l'a censuré, à l'instar d'un autre rapport aussi célèbre, celui de Robert Gersony de 1994 sur les massacres commis par les militaires du FPR dans le nord , sud et sud-est du pays.
L'errance du TPIR dans ce dossier apparaît aussi dans certaines déclarations malheureuses des officiels du tribunal comme celle de madame Carla Del Ponte en 1999[3]. Elle avait déclaré dans ce journal que « si le TPIR ne s'en occupe pas, c'est par ce qu'il n'a pas juridiction en la matière ». Tout en reconnaissant que «c'est cet épisode qui a tout déclenché », elle ajoute « qu'en tant que tel, le fait d'attaquer l'avion et de descendre le président ce n'est pas un acte qui tombe dans les articles qui nous donne juridiction ». Pourtant, le 2 juin 2000, s'adressant à la presse au siège du TPIR à Arusha, madame Carla Del Ponte avait déclaré qu'elle comptait sur les conclusions du juge français Bruguière. Une façon de reconnaître implicitement l'importance de cette enquête.
Des juristes de renom, comme Filip Reyntjens, par ailleurs témoin expert auprès du TPIR, ne sont pas du même avis. Filip Reyntjens affirme depuis des années que conformément aux articles 1, 3 et 4, l'attentat contre l'avion de Habyarimana rentre parfaitement dans les crimes que le TPIR est habilité à juger.
Monsieur le Secrétaire Général,
Si l'obstacle résidait effectivement dans le mandat du TPIR et non dans la mauvaise foi, il eut été facile de l'amender en cours de route et de diligenter cette enquête, puisqu'on ne connaîtra jamais toute la vérité tant que l'élément déclencheur de ce génocide sera occulté. Pourtant, il est désormais clair que des informations fiables existent dans le domaine public et peuvent contribuer à faire la lumière sur cet attentat.
2. La commission d'enquête sur le rôle de l'ONU (commission Carlsson)
En 1999, le conseil de sécurité mis en place une commission d'enquête sur le rôle de l'ONU durant le génocide[4]. Tout en ne s'appesantissant pas sur l'attentat, la commission Carlsson révèle qu'à 2h45, dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, le chef de la mission militaire française à Kigali avait offert au commandant de la MINUAR, le général Dallaire, les services d'une équipe technique militaire basée à Bangui, afin de mener l'enquête sur cet attentat. Dallaire lui avait donné des assurances que cette enquête serait faite. Visiblement des forces occultes se sont opposées à cette enquête.
Il est fort regrettable que cette commission n'a pas souligné ce manquement grave de la force onusienne, qui aurait pu à chaud, identifier les coupables. Présenter aujourd'hui des excuses au Rwanda sans réparer ce manquement ne restera qu'un écran de fumée.
Si l'ONU peut s'empresser de demander des commissions d'enquête après l'assassinat d'un ex Premier Ministre libanais, Rafic Hariri, ou pakistanais, Benazir Bhutto, ou même de l'ex- chef de la rébellion sud soudanaise, John Garang, il est incompréhensible que 20 ans après le drame, aucune attention ne soit prêtée à l'attentat qui a coûté la vie à deux chefs d'Etats en exercice (le président du Rwanda et celui du Burundi) et déclenché le pire génocide que l'Afrique ait jamais connu.
Monsieur le Secrétaire Général,
Depuis cet horrible attentat qui a plongé le pays et la sous-région dans une instabilité sans précédent, beaucoup de fausses pistes sur les responsables de ce crime ont été avancées.
1. Le rapport Mutsinzi
Le 16 avril 2007, en réaction au cinglant rapport du juge français Bruguière mettant en cause les proches du président Kagame dans l'attentat contre Habyarimana, le gouvernement rwandais mit en place par arrêté du premier ministre (07/03) une commission d'enquête sur le « crash » de l'avion Falcon 50 9XR-NN. Notez bien la nuance : l'arrêté du premier ministre ne parle pas d' « attentat », mais de « crash », comme si c'était un accident.
Présidée par un ancien président de la cour suprême du régime et éminent membre du FPR, Mutsinzi, le rapport repris à son compte l'entièreté de la thèse du FPR, qui se disculpe sur les anciennes Forces Armées Rwandaise (FAR), qui seraient seules responsables de cet attentat. Pour accréditer leur thèse, les membres de cette commission commandèrent un rapport auprès de deux experts britanniques, qui n'ont jamais mis le pied au Rwanda et dont les conclusions ont fait couler beaucoup d'encres.
Le rapport Mutsinzi suscita beaucoup de réactions négatives. Le professeur belge Filip Reyntjens parla de « rapport politique et opportuniste d'une qualité plus que douteuse »[5]. De son côté, l'ancien numéro 2 de la MINUAR, le colonel Luc Marchal, l'a qualifié de « long réquisitoire de 186 pages à sens unique, une parodie d'enquête dont le scénario était écrit à l'avance »[6].
2. Le rapport d'experts
Le 10 janvier 2012, un rapport commandé par le juge français Trévidic qui a repris l'enquête du juge Bruguière, a été remis aux parties civiles au tribunal de Grande Instance de Paris. Quoi qu'étant préliminaire, ce rapport a fait l'objet, autant du gouvernement rwandais que de la défense, d'un tapage médiatique destiné à enfumer l'opinion publique et l'amener à adhérer à la thèse du FPR imputant la responsabilité de l'attentat aux ex FAR.
Pourtant, il est désormais clair pour tous ceux qui connaissent un tant soit peu le dossier de l'attentat du 6 avril 1994 , les charges s'accumulent contre la thèse des ex FAR. Des langues commencent à se délier dans l'entourage du président Kagame , avec plein de détails sur cet attentat. Les insinuations sur le rapport des experts ne semblent qu'être une manœuvre d'enfumage destinée à tromper l'opinion publique.
3. Rapport de l'Union africaine[7]
En juillet 2000, une commission dite d'éminentes personnalités africaines remit au secrétaire général de l'Union africaine (alors OUA), un rapport sur le génocide au Rwanda. Plutôt que d'analyser le fond de la tragédie, le rapport fut une charge à sens unique contre le gouvernement intérimaire, mis en place après l'attentat contre Habyarimana, et contre l'opération Turquoise. A en croire ce rapport, l'OUA n'aurait manqué à aucune de ses responsabilités. Or, la toute première force d'observation après l'invasion, le GOMN, fut placée sous la direction de l'OUA.
Le rapport n'évoque nullement le besoin d'une enquête dans un attentat qui a couté la vie à deux chefs d'Etat et reprend à son compte la plupart des thèses du régime du FPR. Le rapport critique aussi vivement l'ONU pour ses manquements.
Monsieur le Secrétaire Général,
Les signataires de cette lettre ont des craintes légitimes sur des efforts visant à saper définitivement toute enquête dans ce dossier.
En effet, des informations dignes de foi affirment que le régime du FPR, principal suspect, cherche à éliminer tous les témoins oculaires de cet attentat. Des opérations dans ce sens ont été menées en Afrique du Sud et en Ouganda. Nous craignons donc que tous les témoins oculaires disparaissent, et que l'enquête ne puisse pas se faire de façon correcte.
Monsieur le Secrétaire Général,
Le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994 reste un traumatisme pour le peuple rwandais et pour le monde entier. Les aveux de culpabilité à eux seuls ne réussiront pas à exorciser le traumatisme, tant que toutes les responsabilités ne seront pas élucidées.
L'assassinat du président Habyarimana et de sa suite ayant été l'élément physique qui a tout déclenché, il serait contre-productif de pouvoir l'escamoter. Tout comme dans d'autres drames, l'ONU se doit d'assumer sa responsabilité et de diligenter une enquête sérieuse, indépendante et internationale, sur cet acte terroriste. Le TPIR ayant manqué à ses obligations, c'est la seule façon d'identifier les vrais commanditaires du génocide qui a endeuillé notre pays. Ne pas faire cette enquête continuera à entretenir les germes d'une impunité que le monde avait juré d'éradiquer sous le slogan de « Never again ».
Ceci étant, nous estimons que le temps presse, avant que le régime du FPR ne se débarrasse de tous les témoins oculaires, comme il vient de le faire en assassinant feu le colonel Karegeya, ex responsable des renseignements extérieurs, qui s'apprêtait à déposer devant le juge français Trévidic, en charge de l'enquête en France.
C'est pourquoi les partis et formations politiques signataires de cette lettre souhaitent que vous preniez personnellement l'initiative, afin que cette enquête soit enfin diligentée. Il en va de la crédibilité de l'ONU et de l'avenir du Rwanda qui a besoin de se réconcilier avec lui-même sur des bases plus solides.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire général, l'assurance de nos profonds respects.
Pour le PDP-Imanzi
Munyampeta Jean-DamasceneSecrétaire Général
Bruxelles, Belgique
pdp.imanzi@gmail.comPour le RNC-Ihuriro
Dr. Rudasingwa Théogène Coordinateur
Washington DC, Etats Unis
bamu29@yahoo.comCPI :
Membres du Conseil de sécurité de l'ONU (tous)
Secrétaire Général de l'Union Africaine (UA)
Notes :
[1] Journal danois Aktuelt du 17 avril 2000.
[2] Présentation dans un colloque le 20 octobre 2007 à paris et repris dans un autre colloque le 1/04/2014.
[3] Journal Ubutabera n°76 du 6 décembre 1999.
[4] RAPPORT DE LA COMMISSION INDÉPENDANTE D'ENQUÊTE SUR LES ACTIONS DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES LORS DU GÉNOCIDE DE 1994 AU RWANDA. 15 DÉCEMBRE 1999.
[5] Filip Reyntjens. Rwanda : Analyse du Rapport Mutsinzi sur l'attentat contre l'avion présidentiel, page 25.
[6] Le colonel Luc Marchal : Analyse du rapport Mutsinzi, page 21.
[7] OUA, Rwanda, le génocide qu'on aurait pu stopper. Rapport des experts sur le génocide au Rwanda, Addis-Abéba, 7 juillet 2000.
No comments:
Post a Comment
Note: only a member of this blog may post a comment.