Jules : Pourquoi utilisez-vous encore « génocide Rwandais » au lieu de « génocide Tutsis » ?                
Johan Swinnen : «  C'est une question importante, nous devons faire le deuil de tous les Rwandais et autres victimes comme des Belges, qui ont péri dans le génocide. Il est évident que les Tutsis en ont été les principales victimes. Mais de nombreux Hutus modérés ont également été massacrés. Nous devons être compréhensifs devant le deuil de tout le monde, y compris celui des Hutus. C'est une condition essentielle pour ouvrir la voie à la réconciliation. »
 
Lambert : que pensez-vous de ceux qui parlent du double génocide ?
Johan Swinnen : «  C'est une accusation très grave, il faut savoir le prouver. Je serais tenté d'être beaucoup plus critique quant au comportement des troupes rwando-congolaises qui ont massacré une masse de gens sur leur chemin vers Kinshasa en 1997. Il y a eu certainement, et nous devons le condamner également, des massacres de nombreux Hutus en 1994. Mais au stade actuel, je ne peux pas qualifier ces massacres d'un deuxième génocide. »
 
Laïc : un certain nombre de religieuses et de prêtres figurent parmi les génocidaires.
Johan Swinnen : «  Il ne faut pas mettre tout le monde sur le même pied. Les comportements de certains religieux sont certainement condamnables. Mais j'ai également connu des membres de l'église extrêmement courageux et qui ont payé de leur vie un engagement pour la paix et la réconciliation. Les évêques, mais aussi des prêtres ordinaires, ont joué un rôle actif dans les derniers mois préconisant la modération et s'érigeant contre la violence. »
 
Loic : (...) Le rôle de la France a été une trahison envers la Belgique (opération Turquois, Amarylis, exfiltration de la veuve d'Habyarimana).
Johan Swinnen : «  Je n'ai pas un jugement final sur cette douloureuse question. Déjà pendant mon mandat à Kigali je regrettais l'impuissance de Paris et Bruxelles de réfuter la caricature que les extrémistes faisaient des diplomaties belge et française. Les premiers étant considérés comme pro Tutsi et les seconds comme pro Hutu. Il faut nuancer. Et continuer à faire tous les efforts de recherche de la vérité, des vérités. C'est pourquoi je parle d'un débat serein et tolérant. Ne continuons pas à faire des caricatures. Mais je plaide quand même, et je vous rassure, pour un débat critique. L'Europe ne peut plus se permettre ce genre d'antagonisme. »
 
Rudi : Depuis des mois, la Belgique et la France savaient qu'un génocide se préparait. Pourquoi on n'a rien fait contre (…) ?
Johan Swinnen : «  Je craignais une véritable « déstabilisation tragique » je connaissais les ingrédients et la communauté internationale les connaissait également : mes contentements sur certains aspects des accords d'Arusha, incursions régulières du FPR déplaçant des centaines de milliers de pauvres paysans, campagne de haine entretenue très agressivement par la Radio des mille collines, distribution d'armes, agissements des milices des partis politiques. L'assassinat du Président burundais démocratiquement élu en octobre 1993 a également porté un coup de massue au processus de paix et de démocratisation. Mais nous, diplomates, avons gardé espoir et déployé toutes nos énergies pour garder le processus sur les rails. Nous voyions les risques d'une très grave déstabilisation, mais pas vraiment un génocide. D'autant que nous n'avions pas prévu qu'un avion avec deux présidents dedans (du Rwanda et du Burundi) serait abattu le 6 avril. »
 
Lambert : « Quelles sont les responsabilité de Kagame ? »
Johan Swinnen : «  Je l'ai moins connu que Habyarimana. Nous étions très sévère avec le président Habyarimana, tout le monde le sait. Mais lors de mes rencontres avec Kagame dans le maquis, je me permettais de l'exhorter également a des attitudes apaisantes. Quant à son rôle actuel, j'apprécie les efforts et les résultats palpables de la reconstruction économique et sociétale. Je l'ai vu de mes propres yeux à Kigali il y a quelques jours. mais cet effort doit se fonder sur des ambitions de durabilité et de respect des droits de l'homme. »
 
«  Les Africains de la région des Grand lacs doivent s'investir réellement dans un processus de paix et de d'intégration économique régionale plutôt que de laisser se développer des scénarios de déstabilisation auxquels nous continuons d'assister malheureusement. L'exploitation illégale des ressources naturelles doit stopper. Je plaide pour une intégration économique ouvrant la perspective d'une unité politique et une paix durable par la réactivation d'une organisation déjà existante, à savoir la Communauté économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). »