RFI : Que doit-on comprendre de cette décision des autorités rwandaises de ne pas accréditer l'ambassadeur de France à Kigali pour les cérémonies du jour ? Que veulent-elles montrer ?
Gérard Prunier : Ça n'a pas grand-chose à voir avec le problème du génocide. Je pense qu'en fait, le président Kagame est en train de chercher à tirer le maximum de capital politique des événements tragiques d'il y a vingt ans. La situation rwandaise, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, n'est pas du tout stable. Et il est terriblement menacé à l'heure actuelle par la révolte de ses anciens camarades, c'est-à-dire des Tutsis rwandais, comme lui venus d'Ouganda en 1990, qui pour le moment sont en train de faire alliance – et c'est très paradoxal – avec le groupe des anciens génocidaires du FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) qui est basé au Congo. C'est une sorte d'alliance générale de tous les opposants à son régime. Et il est bien évident que dans un tel cas de figure extrêmement menaçant, tout est bon pour essayer de raviver la flamme de l'indignation internationale qui se fatigue un petit peu de son comportement. Et donc on est dans une situation où la reprise des hostilités verbales, vis-à-vis de la Belgique ou de la France, est une manœuvre tactique.
Donc, selon vous, il n'y a pas spécialement d'attentes de Kigali pour que la France aille plus loin avec des excuses, comme ce qu'a fait la Belgique ?
Mais à quoi cela lui servirait-il ? En fait, la cible ce n'est pas du tout la France, ce sont les Etats-Unis. Les Etats-Unis commencent à en avoir sérieusement assez du comportement de M. Kagame dans la région, par rapport à ce qui se passe au Congo, par rapport à tout un tas d'autres événements. Et ils sont à l'heure actuelle en train de rompre plus ou moins avec le Rwanda. Ce qui était impensable il y a quelques années ! Et donc en fait, la véritable cible, elle est à Washington.
Si l'on vous comprend bien, Paul Kagame utilise ces commémorations du génocide pour son propre compte, pour son propre avenir. Est-ce que ses propos sont partagés par la population rwandaise ? Quel est le sentiment de cette population rwandaise à l'égard de la France aujourd'hui ?
Elle n'en a aucun et elle s'en fiche complètement. Cela ne l'intéresse pas. Ce qui intéresse la population rwandaise c'est sa vie à elle aujourd'hui, la situation qui se produit à l'heure actuelle et notamment une certaine inquiétude vis-à-vis de la possibilité d'un nouveau conflit. Parce que même si beaucoup de gens n'aiment pas Kagame, personne n'a envie d'une reprise de la guerre. Au Rwanda, tout le monde sait très bien ce que la guerre peut vouloir dire et ça ne rassure personne. Donc quelque part, je dirais qu'il joue un peu sur le velours, puisque ses pires adversaires représentent aussi les pires craintes de la population qui l'entoure.
Vous diriez qu'il se sert aussi du sentiment de culpabilité de la communauté internationale ?
Bien sûr ! La culpabilité de la communauté internationale est massive et évidente. Ce n'est pas parce que lui cherche à en tirer un parti personnel, qu'elle n'existe pas.
Dans son ensemble, la classe politique française a réagi avec beaucoup de véhémence. Est-ce qu'elle pouvait faire autrement ?
Oui. Ce qui est fatigant avec la classe politique française, c'est qu'on a l'impression que les événements du Rwanda sont l'ultime étape d'une mémoire malheureuse de la France, qui remonte à Vichy, à 1940, à la guerre d'Algérie… Tout est prétexte pour se jeter à la figure les tristes aventures de la conscience malheureuse de la France. Le Rwanda a ses propres problèmes et ce n'est pas la peine de rajouter les problèmes français, qui sont autres, à ceux-là.
Si l'on se projette, selon vous, comment peuvent évoluer les relations franco-rwandaises à l'avenir ?
Ça dépendra essentiellement de ce qui se passera au Rwanda lui-même et non pas des péripéties de l'utilisation diplomatique de la mémoire de ces événements. Ce que je trouve particulièrement pénible c'est la conscience des gens qui ont vécu tout ça et à qui on remet sans cesse le nez dans ces événements sous le prétexte d'un usage autre.
Vous disiez : « Selon ce qui va se passer au Rwanda ». C'est-à-dire ?
C'est-à-dire : est-ce que le Rwanda va rester en paix, comme c'est le cas à l'heure actuelle ou est-ce qu'on se dirige d'ici un an ou deux vers des événements beaucoup plus brutaux ?
Quels sont aujourd'hui les soutiens de Paul Kagame ?
Justement, il n'en a plus beaucoup. Parce que les Américains étaient ses meilleurs amis et les Américains sont immensément fatigués de son comportement régional. En plus, il a maintenant un adversaire de taille qui est un pays émergent dans la région : la Tanzanie. La Tanzanie, qui n'oublie pas toutes sortes d'avanies qu'elle a eues avec le Rwanda. Et le président Kikwete et la capacité économique et de transformation de la Tanzanie aujourd'hui est quelque chose de menaçant pour Paul Kagame. Or il est déjà menacé par le Congo – alors là exactement par le contraire –, le Congo est en état de décomposition. Mais justement, il sert de base arrière à ses adversaires. Donc c'est une situation très inconfortable. Et, d'une certaine manière, on peut le comprendre quand on le voit utiliser les ressources de la tragédie du génocide, même s'il y a quelque chose d'un peu indécent à tout cela.
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